Les parkings vides sont un héritage oublié. Ne sont-ils pas un gisement providentiel pour réinstaller des services urbains, de logistique du dernier kilomètre, de stockage tampon de marchandises ? Réhabilités, ne sont-ils pas la réponse la plus sobre et la plus massive à la pénurie d’espaces dans Paris et d’autres villes ? Damien Antoni architecte a développé une expertise originale sur la transformation des parcs de stationnement souterrains, forts d’un projet réalisé avec SYVIL et de plusieurs projets en cours. L’expérience de terrain cumule désormais une cinquantaine de parcs dans différents contextes urbains, différentes villes (Paris, Ivry, Nice, Marseille, Lille, Nancy, Lyon, Montpellier…) et pays (Belgique, Espagne) et aura permis d’y déployer une vision globale.
Des parkings souterrains aux nouveaux greniers urbains de proximité
Le parc industriel de SubTropolis, créé en 1964 aux États-Unis dans une ancienne carrière de calcaire. C’est le plus grand centre d’activité souterrain du monde (5 100 000m²) Espace de logistique de l’United States Postal Service, Kansas City
Dès l’essor de l’automobile, le stationnement en ville devient un enjeu de gestion urbaine et d’aménagement. Dans les années 50, les premières réglementations urbaines de stationnement apparaissent en réaction à la congestion amenée par le nombre d’automobiles croissants. Ainsi les villes se dotent de premiers parkings mais cet aménagement n’apparaît pas comme essentiel et n’est pas mis en première ligne. Il faut attendre les années 1990 pour que la construction de parking fasse partie de programmes d’action publique spécifiques. De plus, la technique aidant, les superstructures laissent place à des aménagements en infrastructures. ci-dessus Garage Le Marbeuf, Paris, 1930 ci-dessus Construction du premier grand parking souterrain sous l’esplanade des Invalides, Paris, 1963
À partir des années soixante, les parkings s’enterrent et se normalisent, en intégrant des caractéristiques types : accent sur la sécurité incendie, portance de dalle de 250 kg/m², faibles hauteurs libres de 1,9 à 2,1 m, et une forte optimisation des plans. Ce modèle de parc de stationnement a été massivement construit depuis cinquante ans selon diverses situations : sous immeuble de logements ou bureaux, sous espace public, ou encore associé à une institution ou un grand commerce.
Pollution atmosphérique, congestion, insécurité routière, accaparement de l’espace public : la dénonciation des méfaits urbains de l’automobile à partir des années 1970 signe la fin de l’automobile comme symbole de progrès tel qu’il a régné en France, depuis trois quarts de siècle. La voiture se trouve ainsi de plus en plus contrainte par les politiques publiques – piétonnisation, limitation de vitesse, contraintes de stationnement, partage de la voirie – et le taux d’occupation des parcs de stationnement décline.
Évolution du stationnement et nouveaux usages de l’espace public, Apur, mai 2019
Le réseau des parkings parisiens. En rouge, les parcs concédés de la Ville de Paris; en vert, les parkings commerciaux; en bleu foncé, les parkings dans les HLM; en bleu clair, les parkings dans les copropriétés. Les parcs de stationnement, hors bureau, à Paris. Évolution du stationnement et nouveaux usages de l’espace public, Apur, mai 2019
L’essor spectaculaire de l’automobile de l’époque des trente glorieuses entraîne le développement de visions utopiques de l’urbanisme souterrain : tout devient possible. ci-dessus Paris sous Seine, Paul Maymont, 1962 Les scénarios présentés par l’architecte Dominique Perrault, répondant à des typologies de sites et des conditions urbaines particulières à Paris, s’inscrivent dans le développement d’une prospective de la ville souterraine qui va bien au-delà de la transformation des parkings existants. Selon l’architecte, les parcs de stationnement devront s’étendre pour devenir des lieux de connexions de la ville et se transformer en espaces urbains à part entière. ci-dessous Scénario de transformation d’un parking souterrain à Paris, « Les futurs du parking. Opportunités dans les sous-sols. », DPA-X, Dominique Perrault Architecture, janvier 2020
La réglementation incendie, un frein important à la transformation
Cette offre de parkings vides, parce qu’elle est souterraine, présente des freins importants à sa reconversion. En effet, des contraintes et des réglementations très fortes s’appliquent aux sous-sols et dimensionnent le projet. La question de la sécurité est notamment centrale dans ces immobiliers souterrains du fait de la difficulté d’assurer l’évacuation d’une part, mais aussi la défense incendie.
Les Établissements Recevant du Public (ERP) acceptent tout d’abord difficilement des niveaux de sous-sol. Les pompiers lors de l’instruction des permis de construire, peuvent refuser les projets au-delà du deuxième sous-sol. Les projets d’ERP en sous-sol disposent de mesures compensatoires pour chaque niveau de sous-sol supplémentaire à évacuer. Dans le contexte réglementaire des Établissements Recevant des Travailleurs (ERT), aucun poste de travail fixe ne peut en principe être installé au-delà de 6m sous la surface. Enfin, il n’est pas imaginable d’intégrer du logement dans ces espaces souterrains, notamment au vu du manque de lumière naturelle et de l’accessibilité (Code de la Construction et de l’Habitation). Peut-on améliorer le confort des travailleurs en travaillant finement sur les manques du sous-sol : vues, lumières, relations… ?
Quelles programmations est-il alors possible d’accueillir dans les niveaux les plus profonds ?
Fonction cachée désormais projetée à la lumière par le développement du e-commerce et le confinement du Covid-19, la logistique urbaine s’est fortement développée ces dernières années. Elle implique notamment de trouver des circuits d’approvisionnement et de logistique urbaine avec des sites positionnés en ville permettant de regrouper les flux avant d’opérer les tournées de livraison dans un secteur géographique reserré et ainsi créer un lien avec les plateformes extérieures à l’hypercentre.
Face à l’immobilier sous tension des métropoles, les espaces logistiques et de stockage peinent cependant à se déployer dans les zones urbaines denses engendrant le déplacement de ces sites en périphérie urbaine. Il s’agit alors de créer les conditions de leur intégration dans l’aménagement des territoires urbains.
L’émergence de ce marché immobilier logistique, qui coïncide avec le recul progressif de la voiture individuelle en ville, constitue une opportunité pour réinvestir ces espaces partiellement vacants et rechercher de nouveaux équilibres économiques. D’un point de vue réglementaire, cette programmation logistique est quasiment la seule apte à s’installer dans les parcs de stationnement existants. De plus, d’un point de vue économique, l’offre de parkings vides est la plus à même d’absorber la demande colossale en logistique.
Quelques parkings parisiens ont d’ores et déjà muté partiellement en espaces de logistique et de stockage. ci-dessus Le parking Beaugrenelle transformé en messagerie express de colis Chronopost, Sogaris, 75015, Paris Espace de livraison dans le parking concédé Harlay Pont Neuf Société Grand frais Monmarche.fr, Indigo, Paris ci-dessous Parking de la rue du Grenier Saint Lazare en cours de transformation en espace de logistique de quartier, projet lauréat de la 2ème édition de Réinventer Paris, Syvil architectures, Sogaris, Paris
Ces parkings souterrains, conçus pour un mono-programme adapté à des gabarits de véhicules sont souvent peu autonomes. Il est donc essentiel d’effectuer des transformations substantielles afin de les transformer en de véritables infrastructures capables. Certains dispositifs architecturaux et constructifs comme l’ouverture d’une double hauteur, la fluidification de leur accessibilité ou encore la création de dispositifs lumineux en sous-sol, permettraient d’augmenter leur capacité à accueillir des fonctions diversifiées. Ces améliorations, plus proches des besoins humains, placent les parkings dans une évolutivité de temps et de modularité des usages.
- Évolution du stationnement et nouveaux usages de l’espace public, Apur, mai 2019.
- « Agriculture urbaine, chambres froides, stockage de colis… la nouvelle vie des parkings souterrains », Emeline Cazi, Le Monde, 16 février 2021, in : https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/02/16/agriculture-urbaine-chambres-froides-stockage-de-colis-la-nouvelle-vie-des-parkings-souterrains_6070068_3234.html
- Évolution du stationnement et nouveaux usages de l’espace public, op. cit.
- Bilan des déplacements en 2018 à Paris, l’Observatoire des déplacements à Paris, 2018.
- L’exposition «Immeubles pour automobiles, histoire et transformations» présente différents scénarios de transformations de ces bâtiments en logements ou bureaux. Exposition créée par le Pavillon de l’Arsenal, du 20 avril au 2 septembre 2018, sous la direction de DATA architectes avec Paul Smith, historien, Raphaël Ménard et Felix Pouchain.
- Le projet des Halles aura coûté plus d’1 milliard d’euros de travaux.
- Par le commerce notamment.
- Le transport public.
- https://www.paris.fr/pages/reinventer-paris-ii-4839
- DPA-X, Dominique Perrault Architecture, Indigo Groupe, Les futurs du parking. Opportunités dans les sous-sols., janvier 2020.
- L’aménagement des sous-sols en espaces de vie a donné lieu une fantasmagorie prolixe, depuis Piranèse jusqu’à l’urbanisme Moderne sur dalle.
- BASSET, Frédérique, Vers l’autonomie alimentaire, Rue de l’échiquier éditeur, Paris, 2012, 128 p.
- Logistique urbaine : vers un schéma d’orientation logistique parisien, Apur, 2014.
- source SYVIL.
- avec notamment, l’instauration des Zones de Faible Emission, mais également l’occupation de la voirie.
- La spéculation sur l’immobilier logistique favorise une hausse des prix que seuls certains grands exploitants logistiques sont capables de payer.
- c’est le rôle de la SEM Sogaris.