A partir de la seconde moitié du XIXe et jusqu’à la moitié du XXe siècle, Paris fût une capitale industrielle, une “usine du monde”. Mais depuis plane sur elle la menace de sa désindustrialisation totale. Dès la fin des années soixante-dix, la Ville de Paris a mis en place des politiques de soutien à l’industrie et à l’artisanat. La municipalité a notamment misé sur la construction d’hôtels industriels plutôt que sur la conservation de grandes emprises. Ces politiques retrouvent aujourd’hui, avec l’émergence de préoccupations sur de nouveaux modes de production et de consommation, un nouveau souffle. Il est urgent de redécouvrir ces modèles méconnus que sont les hôtels industriels, et de concevoir les solutions d’une relocalisation de la production en ville qui peinent tant à émerger.
Évolution du stationnement et nouveaux usages de l’espace public, Apur, mai 2019
Accompagner l’évolution de l’industrie : la tertiarisation
A l’heure d’une recherche de réversibilité bureaux-logements, ne peut-on peut pas entrevoir une recherche complémentaire ? Celle d’une hybridation des immobiliers tertiaires et productifs ? Des espaces capables d’être à la fois bureau et production, ou d’être l’un et pour devenir l’autre. Au regard des enjeux mentionnés plus haut, il nous paraît pertinent d’explorer cette piste de réciprocité et d’explorer l’hybridation de ces typologies qui, bien qu’on les oppose, accueillent toutes deux une fonction similaire : des espaces de travail.
Cet immobilier hybride serait conçu avec la plus grande rationalité. Les plans seraient relativement indéterminés : de grands plateaux libres, régulièrement tramés prêts à être redivisés. Une approche de l’architecture par la structure permettrait cependant de créer des grandes portées ménageant ponctuellement de grands volumes productifs. Un travail approfondi en coupe permettrait à la fois de spécifier les volumes par des variations de hauteurs mais aussi de travailler sur des épaisseurs de bâti importantes tout en garantissant des apports de lumière : patios, gradins, atrium, cour anglaise…
L’hybridation des immobiliers tertiaires et productifs ne pourra fonctionner sans une approche attentive et rigoureuse quant aux modalités de desserte des espaces et notamment des arrivées véhiculées. La conception des circulations, primordiale dans le bon fonctionnement d’un hôtel industriel pourra obéir à un système différent de celui de la structure. Les ascenseurs devront se doubler de monte-charges, les cellules du rez-de-chaussée – a minima – voire celles du sous-sol, d’un ou plusieurs étages devraient dans la limite du possible être desservies par véhicules afin d’augmenter l’éventail des activités potentielles. L‘intégration de ces circulations dans une composition architecturale est fondamentale tant d’un point de vue fonctionnel qu’urbain.
La rencontre de ces deux logiques rationnelles et fonctionnelles pourraient donner à l’architecture son identité. Loin d’une architecture introvertie, l’hôtel industriel doit s’ouvrir largement sur la ville, que ce soit par une façade laissant généreusement entrer la lumière ou en organisant son insertion à la vie urbaine par des parties de programmes publics, par exemple.
Bien que prenant acte du caractère indispensable des activités de recherche et de services à la bonne santé d’une entreprise industrielle, l’hôtel industriel ne peut se résoudre à se tertiariser totalement et à laisser sur la touche un large éventail d’activités pourtant plus que nécessaires. Il existe aujourd’hui un risque de hold up des entreprises au profil plus tertiaire que productif sur les locaux des hôtels industriels de part leurs moyens financiers plus importants. Il est nécessaire d’élargir les potentialités d’occupations et d’accompagner les entreprises les plus fragiles pour construire une véritable alternative au desserrement des activités à l’œuvre. Nous proposons le terme d’hôtel productif plutôt que celui d’hôtel industriel ou d’hôtel d’entreprises pour appuyer sur l’enjeu de la production qui doit rester le caractère premier de ces immobiliers s’ils veulent réellement répondre aux enjeux auxquels ils s’attaquent : proposer des locaux urbains pour les activités productives et non offrir une possibilité en plus aux entreprises tertiaires pouvant se loger facilement ailleurs dans Paris. L’hôtel productif aura aussi vocation à accueillir des activités de services, en complémentarité immédiate des activités productives, comme la logistique.
Certes, pour un grand nombre d’activités, occuper un local en ville et de surcroît en étage est contre-intuitif. Au vue de la faible capacité économique et financière des entreprises, il est contradictoire de vouloir s’installer en zone tendue. Tout comme il peut paraître paradoxal de verticaliser les immobiliers d’activité alors que les process productifs appellent plutôt à l’horizontalité : accessibilité en véhicules, charges au sol importantes, stockage extérieur… Du fait du phénomène Nimby (Not in my backyard) alimenté par la peur des nuisances sonores ou de la pollution, certaines entreprises préfèrent s’installer loin des zones résidentielles pour ne pas déclencher l’hostilité du voisinage. Alors pourquoi s’installer en centre-ville ?
Enfin, il semble impossible de construire pour des entreprises ciblées des locaux qui verront le jour dans deux ans alors que leurs besoins sont immédiats. Comment concevoir des locaux sans savoir qui les occupera et à quels usages ils devront répondre ?
L’hôtel productif doit pouvoir échapper à ces contradictions. Dans ce document, Syvil avance des éléments de méthodologie pour envisager ces espaces productifs contemporains.
Ces dernières années, la Ville de Paris s’engage en faveur d’une réindustrialisation de son territoires. Le label « Fabriquer à Paris », notamment, met en avant des produits fabriqués dans la capitale depuis 2017. A gauche : Laiterie La Chapelle, lauréat 2018. A droite Le Pavé Parisien, enceintes bluetooth en béton, lauréat 2019
- Cf Schéma d’aménagement et d’urbanisme de la Ville de Paris, 1977
- Cf Fabriquer à Paris, Apur, 2020
- C’est le cas de CAP 18, seule zone industrielle urbaine construite à la suite du SDAU (ZAC Chapelle Charbon) et la zone Rapée (ZAC Bercy-Charenton)
- Cf rapport de l’IAU, Les lieux de l’industrie en Ile de France, 2016