Vers un nouvel imaginaire de la zone d’activité
Les zones d’activités économiques périphériques sont responsables de 30 % de la consommation des terres agricoles et naturelles françaises1.
En 2007, leur nombre était estimé entre 24 000 et 32 000. Partout sur le territoire, plus d’1/4 sont paupérisées et ne jouent plus le rôle de moteur économique qui justifiait le gaspillage du foncier et une faible attention à la qualité architecturale et paysagère. Oubliées de l’urbanisme, sans définition claire ni outil d’aménagement dédié, les zones d’activités dégradées marquent l’échec des politiques publiques à les requalifier durablement et à les intégrer à la ville.
Pourtant, une nouvelle donne ouvre la voie à un changement de paradigme, celui de la densification des zones d’activité existantes pour les transformer en véritables infrastructures productives. La prise de conscience d’un modèle urbain dépassé datant d’après-guerre, la nécessité de stopper le gaspillage des sols sous-tendu par ce modèle, et l’objectif de l’État de « zéro artificialisation nette », plaident pour une méthode novatrice, à la croisée de l’aménagement dans le tissu diffus existant et du développement économique. De quels outils et dispositifs urbains se dote-t-on ? Alors que chaque entreprise est différente, comment offrir des formes d’immobilier adaptées à chaque famille d’activité désireuse de s’implanter, sans pour autant tomber dans le laisser-faire de la « boite à chaussures » au centre de la parcelle ? Quelles références se donne-t-on pour offrir aux travailleurs du confort, des services, tout en préservant les sols et la biodiversité ? Il paraît aujourd’hui nécessaire de proposer un nouvel imaginaire pour réparer ce qui existe.
La construction des zones d’activités s’est principalement développée sur les terres agricoles fertiles d’Ile de France. Ici, le site du Parc d’Activités des Garennes1, en 1949 et de nos jours. Il servira d’échantillon d’étude.
Une logique expansive tenace
Les premières zones d’activités économiques en France sont planifiées dans les années 1960, en réponse aux mutations industrielles du pays. L’objectif est double. D’une part, relocaliser en périphérie les industries afin d’éviter les nuisances possibles entre l’activité et l’urbain. D’autre part, répondre aux nouveaux besoins des entreprises : disponibilité d’un foncier abordable et abondant, accès facile au réseau routier. Dans les années 2000, au fur et à mesure que l’urbanisation progresse, les ZAE migrent en grande périphérie à cause de la pression foncière des centres, renforçant le phénomène de « desserrement industriel ».
Au cours des dernières décennies, la construction de zones d’activités économiques connaît une forte progression2. Cette logique expansive s’explique par l’ambition des collectivités d’attirer des entreprises afin de développer l’emploi localement et toucher les retombées fiscales associées. Cependant, on observe une « décorrélation à partir des années 2000 entre création de surfaces économiques nouvelles et croissance du tissu économique et de l’emploi3 ». En effet, les entreprises ont tendance à quitter les anciennes ZAE, pour s’implanter dans les plus récentes. Plusieurs facteurs participent à l’émergence de ce phénomène de déclassement. Les ZAE ont un cycle de vie très court : une période de croissance de 20 ans en moyenne, une stagnation de 10 ans, et un seuil de déclin de 10 ans et plus4. Cela s’explique par un manque d’entretien des espaces et équipements publics, une absence de renouvellement de l’offre immobilière, ainsi qu’une incapacité à répondre aux besoins évolutifs des entreprises et des travailleurs. Cette dégradation des zones existantes, et plus largement leur perte d’attractivité, est amplifiée par l’offre surabondante de projets de ZAE neuves.
Pour autant, les collectivités locales restent principalement focalisées sur la construction de zones d’activités nouvelles5. Cette politique expansionniste accentue l’étalement urbain, déjà initié historiquement par le desserrement industriel. La création de zones d’activités est ainsi responsable de 30 % de l’artificialisation des terres agricoles6. Le phénomène se poursuit avec l’installation d’immenses plateformes logistiques branchées aux autoroutes. En Île-de-France, entre 1949 et 1982, les surfaces d’activités7 sont passées de 108 à 241 km², pour arriver à 301 km² en 2017. Les enjeux actuels de cet étalement urbain sont à la fois économiques, sociaux et écologiques. De par leur éloignement des grands centres urbains, les entreprises peinent à recruter une main d’œuvre qualifiée, désireuse d’aménités urbaines. Dans le même temps, moins d’emplois peu qualifiés sont proposés dans les centres-ville, desquels les classes populaires sont reléguées.
« Focalisées depuis quarante ans sur la création et la commercialisation de nouvelles zones d’activités, les collectivités locales et leurs partenaires ont très souvent oublié de gérer celles déjà existantes. Non entretenues, ces dernières connaissent alors un processus inexorable de vieillissement et de dégradation. Cette déqualification résulte de deux processus complémentaires qui vont s’impacter négativement : l’absence d’entretien et de gestion et le développement de nouvelles offres à proximité. »
CERF/Synopter, Comment optimiser le foncier dans les zones d’activités existantes? Approches et leviers, 2019
La région parisienne, historiquement l’une des plus importantes zones industrielles d’Europe, se trouve face au défi de la modernisation et de la planification de son économie. La croissance au coup par coup des bâtiments industriels dans la périphérie du cœur d’agglomération a engendré des zones industrielles et artisanales de fait. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les politiques mises en œuvre par le gouvernement du Général De Gaulle ont pour objectif de moderniser l’économie française en stimulant la croissance et le développement de l’industrie. La planification de secteurs-clés tels que l’automobile devient un enjeu de développement territorial.
Le développement des plans d’aménagement des villes nouvelles en parallèle de la validation du schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme de la région de Paris (SDAURP) est accompagné par la création des premières zones d’activités économiques (ZAE). La multiplication des ZAE entame un phénomène de desserrement industriel qui se poursuit encore de nos jours. La pression foncière dans la ville de Paris amène les professionnels de l’industrie à relocaliser leurs activités dans la première couronne de la région et les villes nouvelles.
La croissance du phénomène de desserrement industriel annonce déjà l’apparition d’importantes friches en agglomération parisienne. Face à l’obsolescence des territoires de production, une politique de relocalisation de l’industrie et de l’artisanat à Paris est engagée pour soutenir le développement de certaines filières (notamment l’imprimerie). Les principaux acteurs privés et publics (Europarcs, Greenpark, Silic) impliqués dans l’initiative et dans la réalisation des ZAE se retirent du marché pour consacrer leur activité à l’immobilier tertiaire. La présence croissante d’acteurs privés dans la création des ZAE provoque une diversification de leurs appellations sans pour autant modifier leur modèle.
Les enjeux de la transition écologique ainsi que les mutations socioprofessionnelles en cours sont les symptômes de la transformation à venir de l’écosystème productif du territoire francilien. Les besoins de flexibilité, d’abordabilité et de mixité amènent à considérer la transformation de la ZAE en tant qu’outil structurant du développement territorial au travers d’une échelle de conception proche du quartier. Le rôle croissant de la logistique permet à cette filière de devenir le principal programme des ZAE dans le début des années 2000. La plateforme logistique devient alors un élément constitutif du paysage péri-urbain.
- Objet de l’étude opérationnelle réalisée par AREP/Syvil/Villes et projets/Clipperton pour la communauté urbaine GPS&O
- Au cours des 30 dernières années (1989-2017) près de 15000 ha bruts de foncier supplémentaire ont été consacrés au développement des ZAE. Source : IAU, Zones et parcs d’activités économiques en île-de-france, volume 1 – situation et évolution du parc de ZAE et PAE, 2018
- Synopter, CERF, Comment optimiser le foncier dans les zones d’activités existantes ?, 2019
- IAU, Zones et parcs d’activités économiques en île-de-france, Opus Citatum
- Synopter, CERF, Comment optimiser le foncier dans les zones d’activités existantes ?, Opus Citatum
- “le logement est bien le premier consommateur d’espace (plus de 2 millions d’hectares par an), il est suivi par les activités économiques (activités et services) qui consomment environ 1,4 million d’hectares par an, puis par les réseaux de transport (800.000 hectares par an environ).” Laugier, Robert, L’étalement urbain en France, Centre de Ressources Documentaires Aménagement Logement Nature, Ministère du Développement Durable, des transports et du logement, 2012
- Source : MOS 2017, 1982, 1949 – L’institut Paris Région, comprenant les emprises au sol des activités économiques et industrielles, commerces, entrepôts logistiques, et bureaux.
- Lejoux, Patricia, La zone d’activités économiques, un modèle à bout de souffle ?, La Tribune, 2016
- Constat de l’Atelier Territoires économiques 2012 du Ministère du Développement Durable
- Synopter, CERF, Comment optimiser le foncier dans les zones d’activités existantes ?, Opus Citatum
- CEREMA, Loi zero artificialisation nette, 2021
- Il résulte de l’inscription des principes de la séquence « Éviter Réduire Compenser » dans le code de l’environnement une obligation de résultat des mesures de compensation effective pendant toute la durée des atteintes. En effet, dès 10000 m² d’emprise à construire, une évaluation environnementale peut être demandée (obligatoire à partir de 40000m²) ainsi qu’une obligation de résultat sur la séquence « Éviter Réduire Compenser ».
- Syvil, en partenariat avec BNP Paribas Real Estate, 2020
- CEREMA, Loi zero artificialisation nette, 2021
- Synopter, CERF, Comment optimiser le foncier dans les zones d’activités existantes ?, Opus Citatum
- Le parallèle peut être fait avec des stratégies existantes de densification sur le tissu pavillonnaire, telles que Bimby ou celle de Iudo ou, proposant un accompagnement pour la densification et la construction sur des parcelles privées.
- Ibid
- INSEE, Locaux mis en chantier de bâtiments non résidentiels en 2018, source : SDES, données arrêtées à fin mai 2020.
- Archigraphie 3, Une étude économique de la commande d’architecture, 2017